Tatoo t’as tout moi !
Je ne sais dire à quel moment précis de mon existence s’est manifesté cet intérêt pour les tatouages. Je pense sincèrement qu’avant d’être un sujet à décliner pour soi, il s’agit d’abord d’un détail, d’une touche d’apparat qu’on va remarquer sur l’autre, le tracé qui va interpeler, plaire ou déplaire, faire que notre esprit va divaguer pour aller chercher l’histoire cachée. Une part de vie, une rencontre, un évènement sont autant d’éléments qui puissent motiver le passage à l’acte car « se faire tatouer » reste une démarche profondément personnelle.
Pour ce qui me concerne, elle est le fruit de longues, très longues réflexions et de tergiversations multiples. Un tatoo se mûrit en ce sens qu’il va rester indélébile, il grave à jamais sur la peau une part d’intimité, il pose en surface une dose de soi comme s’il s’agissait d’exprimer ou d’exulter une idée, une caractéristique, un souvenir, une célébration enfouie au plus intérieur de soi, un élément qu’on affiche, qu’on rend visible, qu’on factualise et concrétise pour se raconter, verbaliser sans mot, pour expurger, se thérapeutiser ou exprimer une sensibilité discrète ou ostentatoire.
Autant la genèse du tatouage correspond à un rite tahitien (tatau, « ta » = dessiner et « tau » = esprit, dieu) qu’il a procédé me concernant d’un long cheminement. Il évoquait à la base une source d’inspiration et de questionnement. J’admirais certains tatouages exposés ici ou là, subtilement dissimulés derrière une oreille, à la naissance du cou, au creux du poignet ou bien plus apparents, esthétiquement trouvés ou particulièrement laids m’interrogeant systématiquement sur la ou les motivation(s) de chacun de ces corps jusqu’à ce que l’évidence me vienne, je rêvais moi aussi de marquer ma peau, d’y poser un signe qui serait mien, un symbole qui parlerait de moi, plus qu’un vêtement ou un accessoire de mode, une empreinte qui ferait partie intégrante de mon être, de ma personnalité, on ne dirait plus « c’est la blonde assise auprès de la piscine » mais…
c’est celle qui a une plume tatouée à la cheville gauche. Pourquoi ce choix d’ailleurs ?
Une fois décidée à franchir le pas il reste à trouver le tatoueur de confiance, le symbole et l’endroit qui lui serait dédié. Sur ce dernier point l’option s’est faite très vite, ce sera au départ de la malléole discrètement tracée pour être vu sans pour autant trop attirer l’attention. L’artiste en charge de cet exercice est trouvé rapidement par visite de quelques professionnels ayant pignon sur rue et conforté par quelques avis recueillis ici et là. L’essentiel repose sur l’impression ressentie, ce sentiment quant au sérieux du spécialiste, la propreté des locaux, l’accueil qu’on attend rassurant et doux, la possibilité de disposer de temps pour décider, important du fait que l’intervention rarement ne permet une réversibilité. Ce côté définitif fait naturellement peur et c’est indéniablement ce qui fait beaucoup hésiter. Puis le créneau est pris, un mélange d’appréhension, d’auto-surprise et de soulagement nous envahit alors :
c’est fait, j’ai franchi la première étape, la prochaine marche sera celle de l’intervention en propre comme s’il s’agissait d’un rendez-vous médical, un dentiste, un ophtalmo ou un dermato…impression normale…une aiguille viendra injecter de l’encre sous mon derme…
On commence alors à en parler autour de soi, à qui veut l’entendre, presque fier de ce courage que d’aucun n’ont encore. Moi, je vais le faire, j’ai cette audace que vous n’avez pas et puis… on doute aussi par épisode, on craint l’avis négatif, le nouveau regard posé sur sa personne : « vous avez vu ? Elle s’est fait faire un tatouage ! ». Mais l’envie reste plus forte que tout, ce défi dépasse toutes les hésitations, il est trop tard, la décision est prise.
Le choix du dessin fut certainement le plus compliqué. Le premier conseil prodigué reste la recherche sur le web : Google, « tatouage discret sur la cheville », ENTER !
et là…vous avez une collection infinie de propositions qui s’affiche, des immenses, des beaux, des moches, des grotesques, des recherchés jusqu’à ce qu’apparaisse cette plume, symbole de renaissance et de renouveau, de légèreté discrète dans ce monde si lourd. J’avais enfin mon modèle, le signe qui correspondait à ce changement de vie, mon départ de la métropole pour un minuscule caillou perdu dans un nulle part de l’océan indien, une séparation, un changement de métier à 11 heures de vol, un besoin de me reconnecter avec moi-même.
Je me rendais le jour J à l’heure H au salon, petite boutique lovée dans le fond d’une galerie commerçante désertée… ça y est, l’instant T est arrivé. Je pousse la porte de la boutique, gentiment je suis accueillie par cette femme d’âge mûr à la longue chevelure noire corbeau, son côté rock avec ses santiags, son jean seyant et sa silhouette flottante portant ici et là quelques tatouages raccord avec son style. Elle me fait patienter en m’invitant à remplir un formulaire d’acceptation des conditions de vente décrivant les limites de responsabilités des 2 parties, je crois l’avoir signé les yeux fermés tant j’étais déjà dans un état second …mais …que faisais-je là ? Quelle inconscience m’avait menée sur ce chemin ? et puis…il apparait…immense derrière son masque, bel homme au regard bienveillant, des yeux bleus à la douceur azur, il se présente, m’entraîne dans cette pièce qui a tout l’air d’un bloc opératoire à l’ancienne, me demande le dessin retenu, m’explique la technique du décalcomanie qui permet de simuler l’aspect final désiré, l’endroit, la taille, la mise en place. 3 à 4 tentatives suffisent pour arrêter le format et l’emplacement définitif.
Je m’installe allongée sur la table légèrement tournée sur le côté pour faciliter l’exercice. Des instruments virevoltent, défilent et agissent couverts par un ronronnement discret et les commentaires du tatoueur qui s’applique, je n’ai plus peur, je n’ai pas mal, je ressens juste un léger picotement, j’ai confiance en lui, il me questionne, me parle de son parcours étrange d’artiste et ce faisant peaufine son art.
30 minutes auront suffi à parfaire la plume, MA plume, je l’observe, l’aime déjà réalisant que désormais elle fait partie de moi, elle compte avec moi, me singularise davantage. Un petit pansement pour couvrir le tout, quelques instructions pour accompagner la cicatrisation et la photo souvenir qui trône encore sur le site du professionnel.
On quitte le salon le pas léger, impatient d’ôter ce sparadrap pour enfin pouvoir partager cette marque, cette part de soi qui va questionner, intriguer, qui ne laissera pas indifférent car c’est aussi cela un tatouage, outre le fait de se dévoiler c’est aussi un moyen d’échanger, c’est entrer dans une nouvelle communauté, c’est se raconter à des familiers et des étrangers pour progresser sur un parcours de vie, une façon de panser ses plaies et de consoler ses fêlures.
Faire naître un motif sur sa peau c’est mettre au monde un intérieur, une intimité dont on prend soin comme l’attention et la bienveillance qu’on pourrait avoir à l’égard d’un enfant, de soi. On l’aime inconditionnellement. Vient très vite l’envie, le besoin de « dire » autre chose avec un second tatouage, voici chose faite avec une colombe posée sur mon épaule…aujourd’hui je réfléchis à une troisième démarche que je destinerai vraisemblablement à la chute des reins… j’ai encore besoin de me révéler, c’est ça aussi le tatouage, une forme d’addiction douce et réparatrice.
Nadine Gracy