Loïc Odou, parfaitement décalé
C’est entre un montage de scène, des réglages de sono et deux morceaux que Loïc Odou alias Djouns, guitariste et chanteur peï, nous a ouvert les portes de son monde. Portrait.
On nous avait prévenus : pour joindre Loïc Odou, il faut faire preuve de patience. Après quelques SMS et messages Facebook, plusieurs appels et un petit lapin la semaine d’avant, c’est finalement au kiosque du Barachois, à Saint-Denis que le rendez-vous est pris. Car c’est là que Loïc, alias Djouns, a décidé de « râler le maximum de people possible! » via Facebook et le bouche à oreille, « pour jouer et apaiser les coeurs par la musique » durant le mouvement qui secoue La Réunion actuellement.
Un de ses nombreux dalons musiciens, déjà sur place, nous prévient : « Djouns devrait arriver dans 10 min ». Pas de soucis, on n’était même pas nous-même certains d’atteindre le chef-lieu: en pleine protestation des Gilets jaunes, on a patienté un bon moment sur la route du littoral, bravé les barrages filtrants, réussit à faire le plein d’essence. Bref, on est paré et plutôt de bonne humeur.
Tee-shirt couleur bordeaux, long collier de perles noires autour du cou, jean clair slim dans lequel il flotterait presque, bottines usées aux pieds et bien sûr, guitare électrique dans le dos, Loïc, jeune homme sec et élancé de 26 ans, apparaît soudainement : « Les gars, je suis désolé pour la semaine dernière, sérieux ! », lance-t-il, à peine arrivé. On sourit, entendus. On s’y attendait plus ou moins de toutes façons et puis, comment en vouloir à un type qui ne note rien, dont le portable tombe souvent en rade et qui prend les choses comme elles viennent. Il sourit aussi. Il explose de rire, même. Un rire; qu’on pourrait reconnaitre parmi tous, surprenant et communicatif qui passe des graves aux aigus. Loïc, c’est ça. Un gars de La Petite Ile à Saint-Denis qui, un jour, a décidé d’arrêter ses études de maths en Master 1, après un stage qui l’a « dégouté du monde de l’entreprise » pour se consacrer à la musique. Et décide de rentrer à l’EMA (l’école de musique actuelle) de Saint-Leu, pour « essayer de devenir musicien professionnel ».
Sous le kiosque, tandis qu’une musique douce sort de son smartphone, le jeune homme installe la scène et se débat avec les câbles noirs, alors que derrière lui passent une dizaine de voitures de polices, de camions de la gendarmerie mobiles et des motards. Loic, lui, est imperturbable, il continue sa tâche tranquillement, sans même remarquer le défilé des forces de l’ordre sur la route déserte. Situation à la limite de l’absurde. En face de lui, un gilet jaune, est accroché, avec le mot PEACE inscrit sur la toile. « Les gilets jaunes, tout ça, c’est ok, je les soutiens. Ils sont en colère, c’est normal. Mais moi, ce qui m’a fatigué surtout, c’est le couvre-feu ! Tout le monde en a marre de rester chez soi. Pour moi, c’est comme si tout était fait pour qu’on se sente dans l’insécurité. Alors que, regarde, on n’est pas en insécurité, en vrai. », raille-t-il. Pas faux. En tout cas, pas en ce vendredi chaud et ensoleillé de novembre.
Djouns n’est pas du genre à se prendre la tête. Il vit, c’est tout, « dans la joie la plus totale », l’une de ses expressions fétiches. Les annulations de concerts et d’événements depuis une semaine ? « C’est la vie, les gars c’est comme ça. Si faut se bouger maintenant, faut se bouger… je vois aucun problème à ça. On ne peut rien y faire de toutes façons. » Pas faux, non plus.
Petit, je tapais sur n’importe quoi pour en sortir un son
C’est à 17 ans que ce musicien fondamentalement autodidacte se met véritablement à la musique. Il débute avec les percussions, pour lesquelles, marmaille, il avait déjà un faible « Depuis toujours, je suis fan de percu : quand j’étais petit, je tapais partout pour en sortir un son. J’ai toujours tapé partout, ça c’est la base », concède-t-il. Il rentre dans la Batucada de Saint-Denis, après l’avoir vu jouée lors du défilé dionysien du 20 décembre. Ils rencontrent ensuite Kafmarron et Mahesh (Vingataredy, un batteur péï NDLR) : « je voulais être batteur, moi dans le groupe, mais Mahesh l’était déjà. Et puis avoir une batterie en appartement, c’était pas possible ». Alors, il apprend la basse, tout seul, avec les conseils de ses deux dalons et la pratique très régulièrement : « Ce sont eux qui m’ont donné le déclic. Tous les week-end, on jouait chez Mahesh. On ne jouait que du dancehall à l’époque». Puis, il apprend la guitare de la même façon et se découvre une passion pour cet instrument. « Si je vais à un concert, je n’écoute quasiment que le guitariste. J’écoute même pas le chanteur. L’instrumental me parle beaucoup plus que les sons chantés ».
S’il reconnait volontiers son côté paresseux « d’une paresse incroyable », lorsqu’il est passionné en revanche, Loic est un véritable acharné du travail: “Je peux tout reprendre à 0 si je ne suis pas satisfait. Je veux que ce soit parfait. Et tant que ça ne l’est pas, je ne lâche pas. C’est plus facile d’abandonner que de s’accrocher. Il faut batay, té”. Prof de guitare, meneur de Sours Perkysion – la batucada dyonisienne-, chanteur et guitariste dans ses trois groupes No Leads, Soul Mates, Boobs and the fisters, il enchaine les expériences et en parle avec un bonheur non feint. « Je mène Sours Perkysion depuis presque 8 ans maintenant. Mais c’est toujours autant de joie ! Les percussions, ça vibre, ça fait bouger les gens directement, du coeur au coeur. Et c’est loin de me lasser. La Batucada, c’est la trans ». Même discours pour tous ses autres projets. D’ailleurs, Il est partout, Djouns. On a pu le voir sur une scène du Sakifo avec Isnel ou encore dans le live Sauvage de Klowdy au Cajon : « Concernant les collaborations, on m’appelle, je suis là. Il faut être disponible pour les gens, c’est super important quand on fait ce métier ». Des bars-restos, à la fête de la musique, en passant par le festival Florilèges, le guitariste atterrit au Manapany Festival avec No Leads, son groupe principal, composé de quatre dalons. « On s’est rencontrés dan’ chemin. On veut faire un projet sérieux, on veut tout faire péter. Le style ? Pop soul avec des influences créoles ». Leurs textes tournent autour de l’amour, même si Loic tient aussi à écrire des textes plus légers, plus drôles « pour faire rire le public ».
Mais de tout ça, c’est la scène qui le fait vraiment vibrer : « La scène, c’est le plus beau cadeau de tous les temps ! C’est la jouissance totale ! Tout le travail que tu fais, c’est à ce moment là que tu dois tout faire péter. Je me fais plaisir d’abord. Je fais ce que j’aime. Mais c’est clair que si les gens aiment aussi et t’envoient de l’énergie, tu jouis ! », s’exclame t il, en riant à gorge déployée. Tout revers a sa médaille, Loïc confie, plein d’humilité, avoir besoin des cours qu’il donne pour « garder les pieds sur terre ». « Tu montes sur scène, tu répètes etc, mais quand tu as des élèves qui bossent pas ou qui n’y arrivent pas, tu te dis :« mais attends, est ce que moi j’ai assez bossé, est ce que je sais le faire moi même? ». Ca te ramène toujours à la base, l’enseignement. Pour moi c’est indispensable”
Quand on lui demande son rêve absolu : « Je voudrais avoir un studio à Londres, en Australie, mais aussi à La Réunion ». Et quand on renchérit: « Pourquoi pas à Paris ?», il nous regarde interloqué et répond spontanément : « Bah non, Paris, c’est la France ! La France, c’est La Réunion !». Oui, on se sent un peu bête. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?
Par Clara POTIER
Photos: Pierre MARCHAL