« La Réunion compte cinq fois moins de psychiatres qu’en métropole»
Si nous ne sommes toujours pas sortis de la crise sanitaire du Covid, les conséquences psychiques et psychologiques, après de longs mois de restrictions et une confrontation directe ou indirecte à la maladie pour certains, se font sentir. Le Docteur Gérard d’Abbadie, président du groupe familial de santé privé Les Flamboyants, revient pour Grenadine sur l’adaptation du milieu médical face à cette nouvelle crise et les conséquences qu’elle engendre. Interview.
Comment avez-vous pensé le développement de vos établissements sur la Réunion ?
Nous avons mis en place une approche de proximité, complémentaire aux réponses proposées par l’hôpital public.
Aujourd’hui nous accueillons des patients au Port, aux « Flamboyants Ouest » et à Saint-Pierre aux « Flamboyants Sud ». Pour l’Est, notre étude avance, et la construction d’une clinique est programmée dans les deux années à venir.
Nous pensons qu’il est nécessaire d’être proche des bassins de populations pour faciliter la réinsertion progressive de nos patients dans leur environnement familial, professionnel, ou scolaire, selon leur âge.
Nous proposons différentes modalités de suivi en fonction de la situation particulière du patient : hospitalisation complète, de jour, de nuit, des consultations externes de psychothérapie.
Notre réflexion s’oriente sur la prise en charge précoce de la maladie. Lors de l’apparition des premiers symptômes, l’aide que nous pouvons apporter est beaucoup plus efficiente sur le court, moyen et long terme.
Personnels soignants, psychologues, psychiatres, il faut un bon encadrement pour l’accompagnement psychologique des patients. Votre Groupe, et le territoire, disposent-ils de suffisamment de moyens – humains et autres – pour gérer ces maladies ?
La qualité des soins en psychiatrie est aujourd’hui remise en question. La Réunion compte cinq fois moins de psychiatres qu’en métropole. Nous faisons face à des problématiques de moyens pour le secteur. Des réformes sont d’ailleurs en cours pour améliorer la qualité des soins.
Dans notre département, nous savons que nous avons un tiers de moyens en moins que la moyennes métropolitaine (rapporté à la population), ce qui est considérable. Il y a beaucoup de manque dans les dispositifs de prises en charge. Mais la souffrance psychique est moins visible, elle ne fait de bruit que lors des passages à l’acte suicidaire.
Selon les résultats d’une étude de l’OMS, conduite au début des années 2000, 40% de la population mondiale exprimait un mal être. Ces chiffres étaient les mêmes dans les pays européens et à la Réunion. Je ne pense pas que la situation se soit améliorée depuis 20 ans. Actuellement, le contexte de la crise du COVID nous montre que les problèmes psychiatriques et psychologiques ne sont pas tellement abordés. Et pourtant, à mon avis, cette crise sanitaire va avoir de lourdes conséquences psychologiques, sociales et économiques.
Il y a un énorme travail à faire sur le destigmatisation de la souffrance psychique, pour faciliter l’accès aux soins adaptés. Les personnes veulent cacher leur souffrance, alors qu’une prise en charge rapide dès l’apparition de symptômes nous permet de remettre sur pied la personne rapidement.
En tant que psychiatre, avez-vous observé des évolutions dans votre pratique depuis le premier confinement ? Comment vos patients vivent ces temps troublés ?
J’ai le sentiment que les personnes fragiles et instables sur le plan psychologique, ont du mal à maintenir leur équilibre ces derniers mois. Il y a de plus en plus de souffrances psychiques, de décompensations anxieuses, d’inquiétude qui s’expriment. Il y a aussi de plus en plus de violence intra familiales, de violence sociale, il suffit d’ouvrir le journal. Les addictions me paraissent plus importantes et provoquent des désinhibitions, les passages à l’acte sont plus nombreux. La situation actuelle est loin d’être rassurante et nous pouvons évidemment nous poser des questions sur l’avenir…
Quels conseils donneriez-vous pour aider tout un chacun à se préserver et limiter les risques de troubles psychologiques ?
Si tous les individus se ressemblaient, avaient la même vie, vivaient les mêmes émotions, nous pourrions sans doute trouver une réponse commune. Or, ce qui fait la richesse de notre société, c’est la combinaison de nos différences.
Au risque de me répéter, dans la situation actuelle, il y a beaucoup de choses qui nous échappent, nous mettent en situation d’échec. Le fait de vouloir traiter les problèmes sur lesquels nous ne pouvons rien, n’est pas une bonne chose.
Alors soyons actif, soyons acteur de notre vie. Ne laissons pas nos émotions perturber notre réflexion. Le « bon sens » avec lequel nous faisons notre expérience, est la source de nos forces et de nos capacités d’adaptation. Utilisons ce potentiel positif que nous avons en nous pour continuer à avancer.
Groupe Les Flamboyants, premier acteur privé de la santé mentale à La Réunion
Le Groupe Les Flamboyants a été créé en 1995 par son Président actuel, le Dr Gérard d’Abbadie, et son épouse Marie-Andrée, tous deux Médecins psychiatres. Premier acteur privé à s’être spécialisé dans la santé mentale à La Réunion, le groupe s’est développé et diversifié au fil des ans tout en conservant ses valeurs d’entreprise familiale. Dirigé par Aude d’Abbadie-Savalli, le groupe compte plus de 380 collaborateurs répartis au sein de quatre établissements. Les cliniques Les Flamboyants Ouest et Les Flamboyants Sud sont spécialisées dans la prise en charge des maladies dépressives et névrotiques, la clinique Les Tamarins Ouest et Tamarins Sud en soins de suite et de rééducation fonctionnelle.
Interview : Thomas Lauret
Photo : Pierre Marchal