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« Avec le Covid, notre santé mentale est soumise à rude épreuve »

Si nous ne sommes toujours pas sortis de la crise sanitaire du Covid, les conséquences psychiques et psychologiques, après de longs mois de restrictions et une confrontation directe ou indirecte à la maladie pour certains, se font sentir. Le Docteur Gérard d’Abbadie, président du groupe familial de santé privé Les Flamboyants, a accepté de faire le point dans Grenadine sur la situation. Interview.

Nous vivons une situation inédite avec la crise sanitaire, depuis bientôt un an. Dans quel état d’esprit se trouve-t-on aujourd’hui ?

Effectivement, cette crise sanitaire qui a commencé en mars, nous a bien bousculé : de la confusion, des difficultés à comprendre la situation qui s’impose à nous, les graves conséquences pour notre environnement personnel, social et professionnel.
Nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter cette réalité, nous adapter et enfin mobiliser notre capacité à réfléchir et à agir dans ce contexte nouveau…
Tels sont les sujets et questionnements qui s’imposent à chacun de nous.

Si nous regardons notre début d’année 2020 plusieurs facteurs ont brouillé notre compréhension de la situation : une terrible « Angoisse de mort », qui pesait sur le monde entier et sur chacun de nous.
En mémoire, nous reviennent les pandémies et épidémies du passé : grippe espagnole, peste, choléra, risque Ebola.
Un autre facteur a été très important ; celui de la communication sur la maladie, présente chaque jour, anxiogène par sa morbidité. Une maladie tueuse avec des perspectives de soins et une évolution de la maladie chargée de polémique : Professeur RAOULT, sauveur ou dangereux ?
Et puis, il y a eu les masques : inutiles puis utiles, absents puis disponibles, efficaces ou pas efficaces… Des questions dont l’absence de réponse a engendré les fantasmes et les conspirations : où et quand attrape-t-on le virus ? faut-il fuir le système de santé qui est en première ligne et qui va donc être exposé au virus, au risque de ne pas se soigner ? Que se passe-t-il chez les médecins de ville ? à l’hôpital ? Avons-nous suffisamment de lits de réanimation ?

Actuellement, à La Réunion, comme dans les autres régions rurales, nous avons la chance de vivre avec le virus et moins de pression. Les Réunionnais suivent globalement les règles prescrites, les masques, peu de contacts, la distanciation sociale. Les conditions sont également plus favorables aux respects de ces mesures. L’inquiétude se développe aussi sur les conséquences économiques, sociales et psychologiques de la crise sanitaire.

Deux facteurs peuvent avoir une incidence sur la santé mentale, la peur de tomber malade du coronavirus, mais aussi le confinement. Quel est, selon vous, le facteur le plus lourd psychologiquement, et pourquoi ?

C’est une question difficile. La réponse appartient à chacun de nous, en fonction de nos ressources, de notre capacité accepter les modifications des libertés qui s’imposent à notre vie, notre environnement et nos angoisses de mort.
Votre demande nous confronte à plusieurs difficultés et questionnements : allons-nous tomber malade ? Quelle sera la gravité de cette maladie pour nous ? Pour nos proches ? Avec le recul, on peut aujourd’hui se dire que nous n’allons pas tous risquer de mourir du coronavirus. Cette crainte était réelle dans les discours et les perceptions collectives lors des premiers mois de confinement. La maladie s’étendait alors avec son cortège de décès. Néanmoins, il faut prendre du recul, mesurer les facteurs physiques et psychologiques afin d’avoir des réponses plus fiables sur les conséquences de cette maladie.
Il est évident que nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie : certains décèdent, d’autres s’en sortent avec des séquelles, beaucoup seront « des porteurs sains », et d’autres l’éviteront…

Le confinement a représenté une restriction importante des libertés qui vise à nous protéger. Là aussi, il faut faire l’effort de comprendre et d’accepter cette situation, y voir l’intérêt individuel et collectif. Pour moi, nous devons rester acteur de notre vie, même si certaines décisions ne nous appartiennent pas. « J’accepte le confinement » nous met dans un état d’esprit différent que de se dire « je subis le confinement douloureusement ».
Certaines personnes nous disent avoir trouvé le temps de se ressourcer, de prendre du recul face à une vie plus stressante.
On s’aperçoit aujourd’hui des effets psychologiques de cette situation avec la hausse des phobies, notamment les phobies scolaires, ou le syndrome de la cabane… l’aggravation des troubles obsessionnels (TOC), la majoration des souffrances dépressives et des pulsions morbides.
L’autre aspect impactant du confinement, c’est bien sûr la hausse des violences intrafamiliales ou encore l’augmentation des addictions.

Nous vivons des fêtes particulières cette année. Cette période est-elle à risque pour notre santé mentale et qui sont les personnes les plus à risque ?

Notre santé mentale est soumise à rude épreuve, une fête de famille sans famille… La recommandation de se limiter à 6 personnes, de ne pas avoir autour de soi des personnes à risques, âgées, poly-pathologiques, fragiles.
Nous savons que ce sont justement ces personnes qui ont le plus besoin d’être entourées, de profiter des fêtes, de ne pas être seules. Les choix que nous avons à faire sont très culpabilisant.
Outre le contexte sanitaire, il faut aussi se rappeler que la période des fêtes n’est pas une période joyeuse pour tout le monde. Nombreuses sont les personnes redoutant les célébrations de fin d’année. Les fêtes familiales réactivent les pertes, les deuils, les échecs de la vie, l’absence des êtres chers. La solitude, dans le contexte actuel, peut activer des souffrances et accroitre le risque de suicides.

Votre Groupe de cliniques privées propose notamment la prise en charge de personnes souffrant de troubles psychologiques. Qu’avez-vous mis en place pour gérer ces maladies et peut-on innover dans la prise en charge de la santé mentale ?

Notre vocation, nos objectifs, sont de répondre à toutes les souffrances psychiques. Ces situations sont nombreuses actuellement. Pour y parvenir, notre capacité d’écoute, notre compréhension de l’autre, notre humanité, la somme de toutes nos expériences sont les atouts indispensables pour apporter de l’aide à ceux qui font appel à nous.
Bien entendu, les médicaments jouent un rôle non négligeable dans la mobilisation des ressources, dans l’apaisement des angoisses qui lorsqu’elles sont trop fortes, ne nous permettent plus de maitriser notre raisonnement.
Nous sommes aussi des psychologues : au sein de nos établissements, nous avons mis en place des techniques cognitivo-comportementales pour nos patients, des méthodes de relaxation, des psychothérapies, des groupes de parole ; nous disposons d’outils thérapeutiques pour aider les patients à retrouver la joie de vivre, l’équilibre de l’esprit et du corps : des ateliers thérapeutiques, sport, relaxation, musicothérapie, la réalité virtuelle est une méthode intéressante pour surmonter les angoisses . Nous utilisons aussi les neurostimulations.

Interview : Thomas Lauret
Photo : Pierre Marchal

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